De solitaire à solidaire

De solitaire à solidaire

Ce texte d’il y a 15 ans (publié sur mon blog Paroles de Psy en avril 2009) est truffé de psybonheurs : j’y parle de mon ami « l’imaginaire » qui a comblé ma solitude d’enfant, de mes nouveaux projets communautaires et culturels qui ont comblé mes rêves de solidarité et d’un film que j’ai adoré, Adaptation, qui relie tout ça en moi. 

D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours été un grand solitaire, introvertie, que l’on traitait de « sauvage » parce que trop souvent renfermé dans sa chambre, isolé des autres… bien à l’abri des autres. Ma chambre était un refuge, mes loisirs se pratiquaient en solo et mes amis… essentiellement imaginaires. Ça me rend triste aujourd’hui d’écrire ça et de penser à tous ces moments où je versais des larmes, recroquevillé sous mes draps, à prier Dieu, mon plus grand ami imaginaire, pour que quelque chose se passe, pour que quelqu’un vienne vers moi, pour qu’enfin… on m’aime !

Ah ! Non… N’allez surtout pas vous imaginer que j’étais dépressif et suicidaire, bien au contraire ! J’étais un enfant souriant, ricaneur, curieux, émerveillé par la beauté du monde, admirateur de tous ces grands hommes qui avaient fait une différence dans l’histoire de l’humanité et véritable adorateur de la femme, avec un grand F… Mon imaginaire était peuplé d’héros qui surmontaient tous les obstacles et de déesses lumineuses inatteignables qui finissaient toujours dans leurs bras… dans mes bras. Ah ! Oui ! Mes rêves ont toujours fait de moi quelqu’un d’heureux… bien plus que la réalité.

En fait, mon imaginaire m’a tout simplement sauvé, mais j’ai dû en payer le prix. Car en réalité, je ne suis pas un solitaire, j’ai même un grand doute sur ma soi-disant introversion. C’est juste pour me protéger, par peur, que je m’y suis réfugié, que je suis passé d’un enfant extraverti, exubérant, loufoque, rassembleur – je me souviens avoir même été un leader, en maternelle – à un ado inhibé, apathique, lunatique, évitant – je marchais entre la peinture et les murs de la polyvalente. J’ai dû attendre d’être entre ceux de l’université pour comprendre enfin que je souffrais tout simplement « d’anxiété sociale » et – ça je l’ai compris ou accepté bien plus tard – de « carence affective ».

Je suis donc devenu un homme assez ambivalent. D’un côté, j’ai une faim inassouvie, irascible, qui me pousse à aller vers les autres, surtout vers les femmes, encore plus vers toutes ces muses qui me rappellent les déesses de mon monde imaginaire, à rechercher leur attention, à boire leur parole, à goûter leur tendresse, à deviner dans leurs yeux tout l’amour qu’elles ont pour moi. De l’autre côté, j’ai de vieux réflexes d’anxieux, automatiques, incontrôlables, qui me poussent à éviter les autres, surtout ces déesses toutes puissantes qui ont le pouvoir de me blesser, à me cacher de leur regard, à me taire pour ne pas dire de bêtises, à ne rien faire pour ne pas être pris en défaut, à rechercher dans leurs yeux la présence du mépris qu’elles ont pour moi.

Les gens qui me connaissent ont beaucoup de difficulté à croire que j’ai été, ou que je suis encore parfois, ce genre d’homme. Faut me connaître un peu mieux encore pour être témoin des quelques manifestations de celui qu’une bonne amie a rebaptisé, il n’y a pas si longtemps, « José l’angoissé ».

C’est que j’ai beaucoup changé, surtout depuis que je suis entré dans la quarantaine, il y a déjà 5 ans. C’est drôle d’avouer ça aujourd’hui, alors que, comme psychologue, je traite, de façon efficace même, tous les problèmes reliés de près ou de loin à l’anxiété sociale ou à la carence affective. Comme on dit, les cordonniers sont souvent les plus mal chaussés. En fait, je crois simplement que ça ne suffit pas d’avoir en main tout ce qui faut pour guérir, s’améliorer, se transformer, changer, évoluer, grandir… On a parfois besoin d’électrochoc, de câble à « booster » pour recharger une « batterie » épuisée ou un moteur paralysé. Je suis un partisan de la thérapie d’impact !

Les événements dramatiques agissent souvent comme des défibrillateurs sur notre cœur dormant. Pour moi, c’est d’avoir perdu, coup sur coup, à un an d’intervalle, ma mère et ma belle-mère. La secousse sismique que leur mort a déclenchée vibre encore sous mes pieds ; pas étonnant que je sois parfois si hésitant et maladroit dans mes premiers pas de nouveau-né – ou plutôt de nouveau-rené.

Si marcher était trop facile, on ne goûterait pas au plaisir de ramper.

J’ai donc pris, à ce moment-là, la décision de faire quelque chose pour vaincre mon anxiété sociale, ce qui s’est concrétisé à petits pas : je me suis inscrit à un cours de théâtre en septembre 2007 et j’en suis rendue maintenant à courir pour monter deux pièces en même temps.

De me retrouver sur scène, devant une foule, 12 fois de suite, m’a permis, comme toute bonne technique d’auto-exposition, d’avoir raison rapidement de l’anxiété sociale que j’éprouvais lorsque j’étais en public. Le fait, aussi, de côtoyer, d’une façon si rapprochée, autant de personnes, tout âge et sexe confondu, pendant autant de temps, m’ont complètement débarrassé de l’anxiété provoqué par l’intimité des relations interpersonnelles. Je n’arrête pas, depuis un certain temps, d’inviter mes clients anxieux sociaux à suivre des cours de théâtre.

Personnellement, j’y ai retrouvé ma nature un peu plus extravertie, histrionique même, celle qui aime attirer l’attention, qui aime faire rire, celle qui va vers les autres, qui provoque des discussions, qui dit haut et fort ce que j’aime et ce que je n’aime pas, qui crie sa joie de vivre et qui, pour la première fois, se nourrit de tout l’amour qu’on lui donne. Mais comme un assoiffé qui découvre une oasis dans le désert, je m’y suis quasiment noyé. Je me suis littéralement gavé de toute l’affection qu’on me donnait, oubliant que la source pouvait se tarir, jusqu’à ce que je redevienne cruellement conscient de ma carence, alors même que je n’avais jamais été autant et aussi bien entouré de toute ma vie.

C’est un paradoxe humain qui se résume en une phrase : « On ne se sent jamais aussi seul que dans la foule. » Une maxime que mon fils a reprît brillamment – c’est mon fils après tout ! – et qu'il a élégamment modifié : « On ne se sent jamais aussi seul que lorsqu’on est aimé de tous ! » Ne vous en faites pas, ça m’a pris un moment pour bien comprendre ce qu’il voulait me dire. En fait, de sa longue expérience de vie – 18 ans, mon dieu que je l’envie ! – il a tiré une leçon toute simple : d’être aimé de tous ne fait pas qu’on se sent mieux ou satisfait dans la vie, on peut se sentir profondément seul devant tous ces gens qui nous aiment si dans le fond, ils ne nous intéressent pas. Ce qui fait la différence, c’est comment on aime les autres et non pas comment on nous aime.

Ça m’a fait repenser à un film que j’ai vu il y a quelques années : Adaptation2. Une comédie qui m’a pris par surprise en me faisant rire, pleurer et réfléchir. Un film difficile à raconter dont voici le synopsis (écrit sur le dos du boitier DVD) : « Charlie Kaufman (Nicolas Cage), un scénariste marginal mais talentueux, doit adapter "The Orchid Thief" pour le grand écran. C'est un roman de Susan Orlean (Meryl Streep) inspiré d'une histoire vraie de John Laroche, un botaniste qui cultive des clones d'orchidées rares pour les vendre à des collectionneurs. Mais Charlie ne voit pas comment il pourrait rester fidèle au livre en recadrant l'intrigue dans un format hollywoodien. Parallèlement, Donald, son frère jumeau, rédige son propre scénario sans aucune difficulté. Découragé par son attitude, Charlie lui demande conseil pour son adaptation. Il pense également à Susan qui pourrait sûrement lui être une aide précieuse, mais il n'ose la rencontrer. Pendant ce temps, Susan s’éprend de John Laroche, le héros de son roman. C’est en le créant qu’elle s’est rendue compte à quel point son mariage était devenu ennuyeux et routinier. »

En fait, sous prétexte de parler de l’adaptation cinématographique d’un roman, c’est de l’adaptation à la vie dont il est question. Les deux frères ont une façon très différente de composer avec la vie : Charlie est anxieux, inhibé et malheureux alors que Donald est insouciant, expressif et joyeux. Ça prendra une fin tragique pour faire comprendre au premier tout l’enseignement qu’il pouvait tirer du second. À la fin, Charlie est libéré de ses peurs paralysantes et le générique se déroule sur la chanson « Happy Together ! » des Turtles.

« Imagine me and you, i do,
I think about you day and night, it`s only right
To think about the girl you love and hold her tight,
So happy together… »

Vers la fin, Charlie raconte à son frère une anecdote tirée de leur adolescence : il avait vu la fille de qui son frère était amoureux rire de celui-ci avec ses amis après l’avoir hypocritement embrassé. Il avait ressenti une telle rage envers la fille et tellement de pitié pour son frère. Mais Donald lui explique que ça ne changeait rien, il connaissait très bien les moqueries à son propos mais cela n’avait pas d’importance. Personne ne pouvait l’empêcher de ressentir ce qu’il ressentait pour cette fille, même pas elle.

Et il lui dit une petite phrase qui m’a frappé droit au cœur, des mots défibrillateurs : « On est ce qu'on aime, non pas ce qui nous aime. »

C’est dernièrement que j’ai pu enfin expérimenter tout ce qu’il y a derrière des paroles aussi sages. Depuis, je ne recherche plus l’affection des autres comme un affamé et je n’évite plus de faire quelque chose ou d’entrer en relation avec quelqu’un par peur du ridicule ou de ne pas être aimé. J’essaie de faire et d’aller strictement vers ce qui fait battre mon cœur… Et il bat tellement vite de ce temps-ci que je me suis rebaptisé « José l’excité, l’enthousiaste, l’enchanté… »

Je capote – et recapote comme dirait un chum ! – à tous les jours, juste en me donnant le droit d’aimer et en exprimant cette affection à ceux que j’aime. Essayez cette attitude et vous l’adopterez ; et dire que mon vieil ami imaginaire se tuait à me le répéter : « Aimez-vous les uns les autres ! »

Paradoxalement, depuis que je ne cherche pas à inhiber mon petit énervé intérieur et que j’arrête de courir après l’affection des autres, je n’ai jamais été aussi comblé sur le plan affectif, jamais été aussi heureux et plein de sérénité. Désormais, je ne me sens plus jamais seul ou en manque d’amour, parce que j’aime comme un fou toutes ses personnes autour desquelles je gravite.

C’est ce qui m’arrive avec notre projet Osmose - Café des arts1. Je me suis entouré des personnes que j’aime le plus au monde de ce temps-ci pour monter un projet qui me tient à cœur et faire certaines des choses que j’aime le plus faire dans la vie : jouer sur une scène, parler d’art, rencontrer des artistes de toute discipline confondue, soutenir des gens dans leur démarche artistique ou leur développement professionnel, partager avec les autres mes propres expérimentations en écriture et en art visuel, valoriser la culture québécoise, donner la chance à la relève artistique de se produire et d’être diffuser, et déguster des petites gourmandises autour d’un bon café… équitable, bien sûr !

Voilà, de solitaire, je suis enfin passé à solidaire… solidaire d’une même cause oui, mais aussi solidaire du plaisir qu’on semble tous éprouver d’être simplement ensemble…

Merci ma belle gang d’Osmosiens, c’est vous autres qui faites ce que je suis aujourd’hui. Car je suis vraiment ce que j’aime, et je vous aime vraiment très fort. Évidemment, avec une maxime comme celle-là, je suis aussi un gros biscuit aux pépites de chocolat, mais ça, c’est une autre histoire…


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Notes, références et légendes des figures (numérotées de haut en bas)


Fig.1 : Détail d’un dessin (infographie) promotionnel (Fig. 3) pour Osmose - Café des arts. 1
Fig. 2 : Détail de l’affiche du film Adaptation 2
Fig. 3 : Infographie promotionnel de José St-Louis, à partir des logos conçus par Yvan Rey pour Osmose - Café des arts. 1
1 : Osmose - Café des arts est un OBNL au service de la relève artiste en Montérégie, fondé en 2009.
2 : Adaptation est un film américain de Spike Jonze (2002). Écrit par Charlie Kaufman. Avec Nicolas Cage, Meryl Streep et Chris Cooper.

 

           

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