Petits commentaires sur un grand vide

Petits commentaires sur un grand vide

J’ai souvenir d’avoir adoré ce roman de Patrick Senécal, Le vide1, à un point tel qu’il a sa place parmi mes psybonheurs. C’est dur, déprimant, sombre, mais je crois que cette noirceur nous aide à voir l’étincelle de lumière que peut dégager les petits bonheurs autour de nous. Nous sommes intérieurement beaucoup plus lumineux que le vide qui prévaut dans notre société.

Ce texte a été publié pour la première fois, le mardi 17 juillet 2007 sur mon blog Parole de Psy.

« Je ne suis pas un amateur de thriller, mais je ne peux résister à l’univers de Patrick Senécal. Je me fais toujours une joie de découvrir ce qu’il a de nouveau à nous offrir. Plonger dans ses romans comprend toujours une part de risque pour le lecteur qui n'en sort jamais tout à fait indemne. Celui-ci ne fait pas exception à la règle, même que... Disons, que j'étais content de le terminer ce matin, question de respirer un autre air moins vicié. […] À part une scène particulièrement dérangeante vers la toute fin qui m'a presque fait vomir, c’est surtout l’aspect psychologique qui est poussé à sa puissance maximale plutôt que l’action en elle-même. Il prend le temps d’installer lentement les ficelles de son intrigue. Non seulement ça fonctionne, mais c’est nécessaire dans les circonstances. Senécal réussit excessivement bien à cerner ce vide existentiel que nous ressentons tous un jour ou l’autre. À la lecture du roman, le vide s’insinue en nous presqu’à notre insu. Plus on avance dans la lecture, plus on sent un certain vertige qui peut se transformer en angoisse profonde si on est moindrement vulnérable. Les âmes fragiles ou dépressives doivent vraiment s’abstenir de lire ce livre car le portrait qu'il brosse de l'existence, de l'être humain et de nos sociétés est loin d'être reluisant. » (Éric Simard2)

« Avec Le Vide, son œuvre la plus ambitieuse, il propose une réflexion percutante sur l'inquiétante superficialité de notre monde et de nos habitudes de vie. Le Vide traite d'un mal qui s'attaque à un très grand nombre d'individus de nos sociétés modernes qui, même s'ils se disent « branchés », « in » ou « cool », même s'ils sont instruits, bardés de diplômes ou hyperinformés... n'en éprouvent pas moins un jour ou l'autre un terrible sentiment de mal-être, de désespérance face à la vie, une terrible sensation de... vide.» 3

Commentaires personnels

C’était le deuxième roman de Patrick Senécal que je lisais, et ce ne sera certainement pas le dernier. Je n’ai vraiment pas l’habitude de ce genre littéraire à frisson, thriller ou horreur, mais l’écriture de Senécal me fait vivre des émotions si fortes, si dérangeantes, que je ne peux faire autrement, que d’y réfléchir. Ça fait déjà un mois et j’en suis encore tout bouleversé. J’ai la tête pleine de pensées et de réflexions provoquées par... Le Vide.

Pourquoi ? Peut-être parce que son auteur dépeint trop bien ce que j’observe tous les jours dans mon bureau ou dans la société en générale. Cette espèce de façon qu’ont les gens de consacrer du temps et de l’énergie sur des futilités et de passer à côté de l’essentiel. Cette tendance à rechercher compulsivement le bonheur au mauvais endroit : dans le sexe, la drogue, le vedettariat, la réussite ou la fortune à tout prix, la gratification immédiate, la quête absolue du bien paraître, l’attachement aux différents symboles de pouvoir (richesses, possessions et postes de direction), la recherche d’adrénaline à travers les sports extrêmes (il existe même du power-yoga !), les activités dangereuses et stupides (on a qu’à penser au phénomène Jackass et aux fameux Darwin Awards).

Je me suis lancé dans Le Vide à une vitesse folle – j’ai bien droit à mon sport extrême moi aussi – parce que cela rejoignait si bien mes préoccupations existentielles du moment, et je l’ai dévoré sans être capable de m’arrêter avant la fin. Je devais être affamé, mais j’ai quand même réussi à déguster ce copieux repas (642 pages) que je n’ai, comme vous voyez, pas encore finis de digérer (j’arrive difficilement à lire autre chose depuis).

Il était temps qu’un auteur s’attaque avec autant de justesse et de fracas à cette dévotion de la superficialité au détriment des véritables valeurs humaines. Mon fils, un ado un peu naïf – il va me tuer quand il va lire ça ! – pense que ce livre « coup de poing » va suffire à faire bouger les choses dans notre société. Personnellement, ma propre naïveté m’amène à croire qu’après avoir secoué les gens, il faut leur offrir un modèle à suivre, un guide vers un renouveau des valeurs humaines et sociales qui favorisera le bonheur ; ce livre n’est pas encore écrit mais il ne serait tardé…

Réactions en chaîne

Je me suis mis à relire un livre au titre évocateur : À la recherche d'un sens dans un monde confus 4. On y parle du sens de la vie et de son manque de sens (le vide) en faisant un bilan de tous les courants philosophiques et religieux qui nous influencent depuis le début de notre histoire. Et l’auteur nous donne de bonnes pistes de réflexion pour construire un monde meilleur, qui serait moins vide de sens.

« Un monde où la personne et l’amour responsable sont les valeurs premières semble pouvoir s’harmoniser avec les visions orientale et occidentale. Ces deux types de visions ne sont pas opposées et irréconciliables, mais plutôt complémentaires. La primauté de la personne et l’amour de soi assurent les droits alors que l’amour responsable permet l’insertion dans l’ensemble et justifie les devoirs. […] (p.285)

Il n’est pas possible de vivre sans valeurs communes, comme il n’est pas possible de vivre sans valeurs personnelles. […] (p.201)

Seul un monde construit sur ce qui rend les êtres humains semblables est à même de répondre aux exigences du monde actuel. Celui qui repose sur ce qui les rend différents – race, nation, état, langue, culture, religion – n’est plus à même de survivre. » […] (p.287)

Je souhaite ce genre de monde à ce pays où les viaducs tombent parce que nos élus sont trop préoccupés par leur image, leur argent et le maintien de leur pouvoir sur les autres, ce pays où les lacs sont infesté d’algue bleu parce que d’inconscients citoyens ruraux tentent d’installer la ville à la campagne ou parce que des adeptes de sensations fortes modifient leurs embarcations pour faire de plus grosse vagues trippantes, cool, hot, et in qui brassent les fonds marins et les rivages à la recherche de nouvelles toxines.

J’ai aussi eu le goût de revoir Le déclin de l’empire américain5, un film de Denys Arcand qui illustrait déjà en 1986 cette montée de l’individualisme au détriment du bien commun.

« C’est un livre qui part de l’hypothèse que la notion de bonheur personnel s’amplifie dans le champ littéraire en même temps que diminue le rayonnement d’une nation, d’une civilisation. (Et qu’entendez-vous par bonheur personnel ?) L’idée de recevoir de sa vie quotidienne des gratifications immédiates et que la mesure de ses gratifications constitue le paramètre normatif du vécu. (…)
Par exemple : le mariage. Dans les sociétés stables, le mariage est un mode d’échange économique ou politique ou encore une unité de production (…). Ce qui veut dire que le mariage n’a rien avoir avec le bonheur personnel. Comme si une société en développement se préoccupait davantage du bien-être collectif ou d’un bonheur hypothétique futur plutôt que de satisfaction immédiate. (…)
Je pose la question paradoxale : cette volonté exacerbée de bonheur individuel que nous observons maintenant dans nos sociétés n’est-elle pas en fin de compte historiquement lié au déclin de l’empire américain que nous avons commencé à vivre ? » [Dominique St-Arnaud, jouée par Dominique Michel]

Réflexions en cascade

« Quand j’étais petite et qu’on me demandait ce que je voulais faire plus tard, je répondais toujours que j’allais devenir comédienne… » J’ai entendu cela à la télévision, par une actrice dont j’ai oublié le nom, qui disait pourtant quelque chose d’encore plus important : « Mais maintenant, quand je fais le tour des écoles pour parler de mon métier, il m’arrive de poser la même question aux enfants et presque immanquablement, on me répond : Je veux être une star ! »

N’est-ce pas là le résultat pervers de nos fameuses télé-réalités ? Car les jeunes, plus que les autres peut-être, semblent en être rendue à cette recherche insensée : devenir quelqu’un d’important, instantanément, sans délais, sans effort et sans déplaisir. D’où le surnom que je leur ai donné : la génération cheatcode – vous connaissez sûrement cette tendance à utiliser des codes qui permettent de donner à leur personnages le maximum de points de vie ou d’habiletés et les meilleurs armes, tout ça pour éviter ce qui, dans la vraie vie, est inévitable : la fameuse game-over ! Pourtant, loin de moi l’idée de rejeter la faute sur les jeux vidéo car mes expériences personnelles avec mon fils m’ont souvent démontré qu’à peu près n’importe lequel d’entre eux pouvaient être utiliser de façon éducative ou pour transmettre nos plus belles valeurs : comme le plaisir d’apprendre, l’importance de fournir des efforts, survivre à un échec ou résoudre des problèmes. C’est seulement dommage qu’on accorde autant d’importance au fait de gagner et qu’on oublie d’appliquer la petite phrase qu’on répète pourtant si souvent : « l’important c’est de participer ! » Plus personne n’y croit vraiment.

Nous semblons souffrir d’un problème majeur de conjugaison : à force d’être si attaché au verbe « paraître » (pas-être) et au verbe « avoir » (à voir), nous ne savons plus « être » ou « faire » quelque chose qui a du sens.

Et cette recherche du paraître me fait aussi penser à la sexualisation de nos jeunes filles qui s’accentue de plus en plus, à un point telle que si on ne voit pas leur visage – et encore même si on le voit parfois – il est extrêmement difficile de différencier le corps d’une fillette de 10 ans de celui d’une jeune femme de 25 ans. Et on se demande comment expliquer la montée en flèche de la pédophilie.

Je suis tanné de cette course folle à l’image qui nous pousse tous à jouer à qui est-ce qui pisse le plus loin. Comme par exemple, dans ma rue, on jurait qu’on participe tous à un concours célèbre : « Qui aura le plus beau terrain de golf ? » Et pour cela, ils sont prêt à réveiller leur voisin à 7 heure le dimanche matin et à aller contre toutes les réglementations sur les herbicides. Et il y a ceux qui, pas content de gaspiller l’eau pour arroser leur gazon à des heures interdites, en profite pour laver leur asphalte ou le recouvrement encore tout neuf de leur maison.

Ça me fait penser à la chanson Train de vie6 de Mes Aïeux qui nous sert la légende d’Alexis le Trotteur comme une fable sur notre façon de vivre.

« La gloire est un train qui file à vive allure
La crinière au vent, le pied dans l'tapis
C'est sûr, tu vas finir par frapper ton mur (…)
On court pis on s'énerve comme des p'tites fourmis
On s'épivarde, on s'éparpille comme des vraies queues d’veaux
Hey, on court après quoi, on court après qui ?
On s'essouffle pour épater la galerie
Hey, on se prend pour quoi, on se prend pour qui ?
On court après nos vies, ça en vaut-tu le prix ? »

Conclusions sans fin

« L’être humain est un mauvais comédien qui répète la même pièce, et c’est à croire que nous faisons des enfants pour qu’ils la poursuivent jusqu’à la fin des temps ! » [Le vide, p.147].

C’est le psychologue désabusé – celui du roman – qui dit cela et j’avoue avoir dû lutter – pendant une période de déprime – contre cette simple idée au conséquence dangereuse qui dit que la vie n’a pas de sens, qu’elle est vide de sens… Plusieurs personnages du roman ne luttent plus, eux, et finissent par faire remonter d’une façon record – seulement dans l’histoire heureusement – le taux de suicide du Québec – qui n’avait pas besoin de ça ! Par précaution, la personne dépressive devrait s’abstenir de lire se livre ou du moins ne pas le faire sans un accompagnement professionnel – et je ne cherche pas par là à augmenter ma clientèle.

Pourtant, je pense que le roman se termine malgré tout – non je ne vous dirai plus rien sur ce tout ! – par de jolies touches d’espoir – que je n’élaborerai pas non plus ! On est loin du happy end américain (on ne l’aurait jamais pardonné à Patrick Senécal) mais la conclusion ne m’a pas déçu car ce qui me semblaient être les éléments les plus sensés, c’est-à-dire ceux qui pourraient remplir ce vide, quoique malmenés tout au long du roman, sont épargnés et semblent renaître à la toute fin.

C’est ce qui m’a intéressé le plus comme psychologue : tout au long du roman, les personnages principaux passent à côté de l’essentiel, et Patrick en fait une démonstration à chacune des interactions sociales, comment chacun d’eux ne disent pas ce qu’ils ressentent, ne partagent pas leur sentiment avec leurs proches, focalisent sur des choses sans importance comme sur ce qui passe à la télévision (toujours omniprésente), comment ils évitent de se parler, fuient la possibilité de conflit, ne règlent pas leurs problèmes. Et toutes les valeurs essentielles comme l’amour, le partage, l’empathie, la coopération, sont chassé au profit de la superficialité et autres gestes insensés…

C’est Chloé qui se présente comme un vent de fraîcheur avec son scrapbook personnel rempli d’espoir – non je ne vous dévoilerez pas le punch ! – digne d’être parmi mes psybonheurs.

Finalement, après avoir été ému, troublé, horrifié même, j’ai laissé traîner le bouquin dans la maison pour que d’autres soient tenté de le lire…

Puis, j’ai regardé pousser mon gazon quitte à ce qu’il soit trois fois plus long que celui du voisin, j’ai écouté mon garçon me raconter sa journée en partageant ses fous rires et ceux de ma blonde.

Je leur ai dit que je les aimais et finalement… nous avons fait une « grosse boule d’amour » 7.

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Notes, références et légendes des figures (numérotées de haut en bas)

Fig.1 : Photo de la couverture du livre : Le vide.1

1 : Senécal, P. (2007). Le vide, ALIRE.

2 : Extrait du blogue d’Éric Simard, auteur, sur le site Les éditions du Septentrion, le 12 mars 2007. https://blogue.septentrion.qc.ca/author/esimard/page/16/

3 : Auteur inconnu parce que je ne retrouve plus la référence. Elle a été prise sur canoe.ca, en 2007.

4 : Lanteigne, L. (1995). À la recherche d'un sens dans un monde confus. Éditions de Mortagne.

5 : Le Déclin de l'empire américain est un film québécois réalisé par Denys Arcand et sorti en 1986. Pour plus de détails, voir sur Wikipédia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Le_D%C3%A9clin_de_l%27empire_am%C3%A9ricain

6 : Train de vie (Le surcheval) : chanson du groupe Mes Aïeux, sur l’album En famille (Les Disques Victoire, 2004). Compositeurs : Stéphane Archambault / Marie Hélène Fortin / Marc André Paquet / Éric Desranleau / Frédéric Giroux.

7: Comme dans la série Minuit, le soir, un autre de mes psybonheurs.

 

    

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