Savoir être aimé

Je dédie ce psybonheur à ma mère et à toutes les mères Thérèsa de ce monde et je remercie Paul et Erich pour leurs si beaux textes. Écouter chanter Paul Piché, ou chanter avec lui est en soi un psybonheur quotidien. Lire le texte de l'une de ses plus grande chanson et réaliser combien elle me fait du bien. Faire des liens entre celle-ci et le classique d'un grand sociologue et psychanalyste, Erich Fromm, a généré encore plus de psybonheurs pour moi.

L'escalier

Juste avant d'fermer la porte
j'me d'mandais c'que j'oubliais
j'ai touché à toutes mes poches
pour comprendre ce qui m'manquait
c'était ni ma guitare
ni un quelconque médicament
Pour soulager quelque souffrance ou pour faire passer le temps
Pis tout au long de l'escalier
Que j'ai descendu lentement
Parce que sans raison j'aurais r'monté
Parce que sans raison j'allais devant
J'étais toute à l'envers
Parce c'qui m'manquait
C'tait par en-dedans
J'me sentais seul comme une rivière
Abandonnée par des enfants

Et pis le temps prenait son temps
Prenait le mien sur son chemin
Sans s'arrêter, sans m'oublier
Sans oublier de s'essouffler
Y a pas longtemps j'étais petit
Me voilà jeune mais plutôt grand
Assez pour voir que l'on vieillit
Même en amour, même au printemps
Alors voilà je me décris
Dans une drôle de position
Les yeux pochés et le bedon
La bière sera pas la solution
J'aimerais plutôt que cette chanson
Puisque c'est de ma vie qu'il est question
Finisse un soir dans ma maison
Sur un bel air d'accordéon

Pis les enfants c'est pas vraiment vraiment méchant
Ça peut mal faire ou faire mal de temps en temps
Ça peut cracher, ça peut mentir, ça peut voler
Au fond, ça peut faire tout c'qu'on leur apprend

Mais une belle fin à cette chanson
M'impose de dire c'que j'aurais dit
Si j'avais pas changé d'avis
Sur le pourquoi de mes ennuis
Ben oui, j'allais pour me sauver
Vous dire comment faut être indépendant
Des sentiments de ceux qu'on aime
Pour sauver l'monde et ses problèmes
Qu'il fallait surtout pas pleurer
Qu'à l'autre chanson j'm'étais trompé
Comme si l'amour pouvait m'empêcher
D'donner mon temps aux pauvres gens
Mais les héros c'est pas gratis
Ça s'trompe jamais, c't'indépendant
La gloire paye pour les sacrifices
Le pouvoir soulage leurs tourments
Ben oui, c'est vous qui auriez pleuré
Avec c'que j'aurais composé
C'est une manière de s'faire aimer
Quand ceux qu'on aime veulent pas marcher
J'les ai boudés, y ont pas mordu
J'les ai quittés, y ont pas bougé
J'me suis fait peur, j'me suis tordu
Quand j'ai compris ben chu r'venu

Quand j'ai compris que j'faisais
Un très très grand détour
Pour aboutir seul dans un escalier
J'vous apprend rien quand j'dis
Qu'on est rien sans amour
Pour aider l'monde faut savoir être aimé

(L'escalier, paroles et musique de Paul Piché)


Je ne peux pas m'empêcher de penser à ma mère quand j'entends cette chanson là. D'aussi loin que je me souvienne, ma mère a toujours fait passer le bonheur des autres avant son propre bonheur, nous empêchant même de prendre soins d'elle, comme si d'être altruiste constituait la seule manière d'être qui soit valorisée à ses yeux – sans pour autant qu'on puisse l'être soi-même pour elle ! Cette chanson me semble tout à fait destiné à ma mère : comme j'aimerais qu'elle comprenne qu'on ne peut pas vraiment aider les autres si on ne sait pas être aimé, si on ne sait pas se laisser aimer, si on ne sait pas s'aimer soi-même...

J'aimerais aussi qu'elle fasse la lecture de cet extrait tiré de L'Art d'aimer d'Erich Fromm, sur la façon d'aimé des mères dites « désintéressée » :

[...] Loin de ressentir leur désintéressement comme un symptôme, ces gens y voient un trait de caractère qui en quelque sorte les rachète, le seul dont ils puissent s'enorgueillir. La personne « désintéressée » ne désire rien pour elle-même ; elle « vit seulement pour les autres » et tire de la fierté à ne se donner aucune importance. Qu'en dépit de son désintéressement elle se sente malheureuse, insatisfaite dans ses relations les plus intimes, la déconcerte au plus haut point.
[...] Elle apparaît paralysée dans sa capacité d'amour et de jouissance, animée d'une sourde hostilité envers la vie, et dissimulant sous les apparences du désintéressement une centration sur soi qui, pour être subtile, n'en est pas moins intense.
[...] Elle croit que, par son désintéressement, ses enfants feront l'expérience de ce qu'implique être aimé et apprendront en retour ce qu'aimer signifie. Mais son désintéressement n'entraîne pas les effets escomptés. Les enfants ne rayonnent pas de ce bonheur qu'éprouvent ceux qui ont l'assurance d'être aimés ; ils sont anxieux, tendus, redoutant la moindre désapprobation de leur mère et tout préoccupés de combler son attente. Ils sentent, plutôt qu'ils ne reconnaissent clairement, l'hostilité latente de leur mère à l'égard de la vie, ils en subissent le contrecoup, et finalement ils en deviennent eux-mêmes imprégnés. En somme, la mère désintéressée exerce une influence assez comparable à celle d'une mère égoïste, et disons-le, souvent pire, car le désintéressement de la mère empêche les enfants de la critiquer. Ils se trouvent dans l'obligation de ne pas la décevoir ; ils ont appris sous le masque de la vertu, à détester la vie.

Ce psybonheur peux vous paraître bien triste pour un psybonheur. C'est vrai. Je ne vous cacherai pas que j'ai pleuré souvent en pensant à ma mère et à sa façon mal habile de nous aimer, je me suis beaucoup culpabilisé en constatant tout ce dont elle se privait pour nous, je me suis révolté aussi, essayant même de la forcer à ce qu'elle pense à elle en premier, l'empêchant même parfois de faire quoi que ce soit pour moi.

Mais tout cela est chose du passé, car j'ai décidé de changer ma façon de voir sa difficulté et ma manière d'y réagir. C'est pour cela que maintenant je peux vous parler de l'un de mes plus grand psybonheur : celui de voir ma mère s'aimer et prendre soins d'elle-même.

J'ai choisi de l'observer et de la félicité chaque fois qu'elle pose un geste de soins et de respect envers elle-même : quand elle arrive à faire un choix selon ses goûts et désirs dans un bon restaurant (plutôt que de regarder ce qui coûte le moins cher quand c'est moi qui l'invite ) ; quand elle s'assoit un peu pour relaxer (au lieu de chercher à faire ma vaisselle ou mon lavage chaque fois qu'elle me rend visite) ; quand elle accepte avec une évidente satisfaction que j'aille la reconduire devant sa porte (au lieu de m'aviser à mainte reprise que je peux la laisser à plusieurs coins de rue de chez elle pour me faire économiser du gaz) ; etc.

J'espère que ma mère comprendra enfin que chaque fois qu'elle se permet un psybonheur dans sa vie de tous les jours, elle m'en procure un à tout coup !

Les psybonheurs sont contagieux !

José, mai 2001.

 

 

 

 

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