L’humain est beau. Certains d’entre eux ont touché mon cœur dans le court laps de temps où je les ai fréquentés. Roger est l’un de ceux-là. Il m’a rappelé combien l’humain peut être beau, même lorsque c’est un parfait inconnu.
Il s'arrêtait souvent, je dirais même plusieurs fois par semaine depuis notre ouverture. Il prenait un petit café et mangeait volontiers une gaufre ou un muffin quand il en restait. Et il parlait à tout le monde, en fait, il parlait surtout à nous, les bénévoles d’Osmose – Café des Arts, parce qu'il était vite devenu, un de nos deux clients réguliers.
Lors de notre première rencontre, il s'était montré intéressé par tout ce que je faisais. Je me souviens lui avoir laissé feuilleter mon cahier de dessin dans lequel je griffonnais. Il avait eu de bons commentaires. Et je lui avais demandé s'il était artiste. Il m'avait alors raconté qu'il créait surtout des sculptures. J'appris plus tard qu'il avait même commencé un projet pour Osmose, la sculpture d'un petit arbre qu'on pourrait mettre devant la porte. Et il me parla de dessins par ordinateur, de différents logiciels de dessins et d'infographie. Je lui montrai mon affiche du Deus et il se mit à me dire combien de calques j'avais dû utiliser pour la faire. Il était capable d'apprécier tout le travail que j'y avais mis.
Par la suite, il est revenu à tous nos "Dimanches créatifs" : la première fois comme observateur, la dernière comme dessinateur. Il disait qu'on lui avait redonné le goût de dessiner. Je me souviens qu'une fois, il était resté assit toute la journée derrière moi et, comme si mes dessins l'inspiraient, il s'était mis à tracer des courbes au fusain. Il avait remarqué mon obsession pour les lignes courbes, semblable à des cheveux et les yeux qui revenaient souvent dans mes dessins. Et là, il dessinait des courbes d'où fini par émerger un œil d'oiseau ; en plein le genre de dessin que j'aimais.
Il m'a parlé plusieurs fois de son logiciel d'architecture avec lequel il travaillait avant mais que, là, il utilisait pour faire de l'art. Et il a reconnu tout de suite l'objet que j'utilisais pour gratter ma peinture, un ustensile pour faire de la céramique ou des sculptures en terre glaise. Il me confia qu'il était en train de faire un bas-relief du visage de sa fille en glaise. Visage qu'il allait par la suite couler avec une sorte de plastique dont j'ai oublié le nom. Il avait le projet de faire celui de son fils par la suite. Il pourrait même amener sa glaise chez Osmose, un de ces dimanches.
Puis, en ce beau dimanche après-midi, je l'ai attendu, en me demandant avec quoi il allait arriver, sa tablette ou sa terre glaise… Mais il ne revint jamais.
C'est mon fils qui me sidéra par la nouvelle après le passage d'une dame que je croyais être une cliente : Roger est mort vendredi dernier, le 15 octobre 2010.
J'ai continué à peindre en pleurant.
Étrange la vie parfois. Je ne pensais pas pouvoir m'attacher si vite à un monsieur d'une soixantaine d'années que je connaissais à peine. Pourtant, c'est bien ce qui s'est passé, et j'ai l'impression de pleurer un ami maintenant.
Mais je pense que ce qui me fait le plus de peine, c'est de penser qu'il ne pourra pas terminer les œuvres qu'il avait l'intention de faire, surtout le portrait de son fils. Et cela me ramène à ma propre vulnérabilité.
On peut mourir, comme ça, soudainement, et laisser inachevé un tas de projets et de rêves merveilleux… Ça fait réfléchir… Ça me donne le goût de me lancer dans l'achèvement de tous mes projets en même temps. Mais je réalise que ce n'est pas possible. On a beau essayé de réaliser nos rêves les plus fous, je pense qu'on meurt toujours inachevé. Et, finalement, ce n’est peut-être pas si triste que ça. L'important, ce n'est pas d'avoir achevé tous nos projets avant de mourir, c'est de mourir en étant toujours en train d'en inventer de nouveaux.
Roger était heureux et souriant à chacune de nos rencontres. Je ne savais pas qui il était, ou ce qu'il faisait comme travail, ou si même il travaillait encore. Je sais juste qu'il aimait bien faire du bénévolat pour les plus démunies, encourager la relève artistique, parler et faire de l'art sur plusieurs formes, et aussi, qu'il aimait ses enfants. Jamais il ne m'a semblé malade et jamais il ne m'a dit mot sur un quelconque problème de santé.
Je garde donc de lui l'image de notre dernière rencontre. C'était jeudi dernier, à notre vernissage des « Dames de l'art » (notre exposition toute féminine). Je lui ai mis une main sur l'épaule en passant près de lui pour le saluer. Il m'avait souri en me disant que c'était une belle exposition. Et toute la soirée, il s'était promené d'une artiste à l'autre pour commenter leurs œuvres ou questionner leurs façons de faire.
Je ne sais pas qui était vraiment Roger, mais mon Roger à moi était un confrère artiste bien sympathique qui m'encourageait à poursuivre ma démarche artistique. J'espère que votre Roger l'était autant que le mien. Si c'est le cas, je vous dis mes plus sincères sympathies.
À la mémoire de Monsieur Roger Michaud.
[texte publié sur mon blog Paroles de Psy, lundi le 18 octobre 2010]
-----------------------------------------------------------------------
Notes, références et légendes des figures (numérotées de haut en bas)
Fig.1 : Sans titre. Dessin au fusain sur papier de Roger Michaud (septembre 2010). Cadeau offert à José lors d'un Dimanche créatif.
Fig.2 : Sans titre. Dessin au fusain sur papier de Roger Michaud (septembre 2010). Cadeau offert à José lors d'un Dimanche créatif.