Elle était magnifique pour le jeune homme que j’étais : à peine plus vieille que moi, long cheveux noirs, bouche souriante, regard attentif et bienveillant. J’étais obnubilé par sa beauté et sa grâce. J’avais l’impression qu’elle flottait au-dessus du sol quand elle se déplaçait dans la pièce. Elle était la douceur incarnée : calme, zen, bien enracinée dans son corps. Je la sentais tellement présente et dévouée. Elle était là juste pour moi.
Choyé par sa présence réconfortante, tendre, empathique, bienveillante, pleine d’amour. Ses mains dans la mienne étaient douces et chaudes. De longs frissons partaient de mes doigts jusqu’à mon cœur qui battait la chamade. Je me sentais tellement bien, tellement serein. Ses yeux ne lâchaient pas les miens et j’avais l’impression qu’elle dévorait chacune de mes paroles. Et moi, je me racontais sans gêne, sans malaise, sans hésitation. Je lui confiais ma passion pour le dessin et l’écriture et elle en redemandait, avec de simples questions m’incitant à me confier davantage. Je me sentais écouté et aimé. Elle faisait naître en moi des papillons enflammés.
En quelques minutes seulement, j’étais tombé en amour. En fait, j’avais l’impression soudaine que la jeune femme avait eu, elle aussi, le coup de foudre pour moi. Fallait la voir pour me croire. Sa façon de s’assoir au bord du lit, tout près de moi, et de prendre ma main. Seule une amoureuse pouvait être si intime avec moi. J’avais l’impression que tout mon corps frôlait le sien et que mon visage se perdait dans sa chevelure. Je m’enivrais de son parfum subtil et ma main gauche fondait dans les siennes. Je sentais mon cœur entre ses doigts.
La réalité me rattrapa lorsque je la vis jeter un coup d’œil à l’horloge. Ma main était posée sur une des siennes alors que deux doigts de son autre main touchaient mon poignet : elle prenait simplement mon pouls. C’était la première des charmantes infirmières que j’allais croiser dans ma vie et qui, comme à chaque fois, m’ont réconcilié avec nos soins de santé.
Elle m’a fait me sentir bien à un moment de ma vie où je me sentais vulnérable : seul, dans une chambre d’hôpital, à attendre l’opération à mes seins. En comprenant ce qu’elle était en train de faire, je m’étais senti un peu ridicule d’avoir naïvement pensé, pendant un instant, qu’elle s’intéressait amoureusement à moi. Mais ce sentiment n’a jamais fait le poids face à ce moment de bonheur qu’elle avait provoqué, bien malgré elle.
Aujourd’hui, quand je raconte cette histoire qui me fait beaucoup rire, je ne me juge pas ridicule, je me trouve plutôt chanceux.
José, mars 2023.
Une fille de la classe
Je la regarde d'un bout à l'autre de la classe d’histoire
Malgré les six rangs de bancs qui nous séparent
J’admire les étincelles qu’elle lance de son regard
Quand mon copain de droite abandonne ses histoires
Je lui dessine son reflet comme dans un miroir
Pour l’examiner, de ces mèches blondes jusqu’au cou
Cheveux frisés, nez court, comme je peux voir
Et de souples lèvres palpitantes comme les coucous
Je ne dirai rien du reste, pas pour ce soir
Car il n’ajoute que de la beauté à sa richesse
Dont sa façon de penser, marcher et de s’assoir
Dommage qu’elle n’entende point l’amour que je veux mouvoir
Car je ne peux que me plier sous l’immense fardeau
D’une image, d’un rêve que nous ne pouvons croire.
José, 25 novembre 1979.
José avoue qu'à la fin de l’année 1979, il pense de moins en moins à France, sauf dans certaines fantaisies à la Harlequin. Il regarde davantage autour de lui et il y trouve de belles filles qui le font rêver, comme celle de sa classe d’histoire. Inspiré par le regard « artistique » qu’il pose sur la gent féminine – et par sa libido bien sûr ! – il commence même un roman érotique dont le héros se nomme Joxetrap : un très mauvais jeu de mot entre José, sexe et jockstrap (un suspensoir, pour protéger les couilles).
En relisant mon journal, je me rends compte que je n’ai rien écrit de mon aventure à l’hôpital pour ma première opération. Pourtant, je n’ai ni oublié cette charmante infirmière qui a pris soin de moi, ni oublié cet enfant qui m’a traité d’idiot – un autre moment irrésistiblement drôle ou malaisant.
Imaginez-moi adolescent, couché sur le ventre, dans une civière, au milieu d’un corridor de l’hôpital pour enfants Sainte-Justine. Évidemment, ils m’ont déjà fait mettre leur superbe jaquette – donc, arrêtez tout de suite de m’imaginer ! Je suis là, les fesses à l’air parce qu’on m’avait dit qu’ils allaient m’en piquer une, mais le préposé m’avait laissé là pendant un temps interminable après m’avoir dit ça. C’est le comble de la gêne, hyper gêné d’être à nu devant tout le monde, mais trop gêné pour désobéir aux consignes en recouvrant ma partie exposée.
Imaginez-vous alors une espèce de cage à roulette, une « civière-bassinette », se stationner à côté de moi. Un petit garçon y est agenouillé et, les mains serrées sur les barreaux comme un prisonnier, il me fixe méchamment. Je m’apprêtais quand même à le saluer quand il se mit à crier : « Maman, maman, regarde un idiot ! » J’étais persuadé d’avoir mal compris mais il le répéta une deuxième fois bien distinctement. Je restai bouche bée. J’ai juste eu le temps de penser : « tu ne t’es pas vu toé, avec ton pyjama ridicule, tes grandes oreilles et tes yeux vides, t’a l’air ben plus débile que moé. »
Avant que mon préposé ne revienne me chercher, c’est la mère du petit gars qui planta le dernier clou du cercueil : « Voyons mon grand, on ne dit pas ça aux gens, ce n’est pas leur faute s’ils sont idiots ! »
José, mars 2023.
À suivre dans: Bio-16 : Mère Teresa
Fait suite à: Bio-14 : Goodbye, Yellow, grands sauts
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Notes, références et légendes des figures (numérotées de haut en bas)
Fig. 1 : Infirmière ou docteur inconnue. Photo d'Alexandr Podvalny sur www.unsplash.com.
N.B. : Le texte ci-dessus est basé sur une histoire vraie. Cependant, n'oubliez pas que :
1) mes avertissements généraux s'appliquent aussi aux textes de cette section ;
2) il s'agit de ma propre vérité, à partir de mes points de vue et jugements personnels du moment ;
3) la mémoire est toujours un processus de reconstruction mentale et une faculté qui oublie ;
4) presque tous les personnages ont des noms fictifs.