23 juin 1979 (suite). Durant la fête aujourd’hui, il se passa quelque chose de stupide entre ma sœur et mon cousin. Tout a commencé avec ma sœur qui dessinait sur le trottoir, en grosses lettres : « JOSÉ LOVE FRANCE ». Mon cousin Yvan, voyant cela, a voulu lui rendre la pareille en écrivant : « COLOMBE LOVE STEVE ».
Ma sœur n’était pas contente parce qu’elle ne ressent rien pour son partenaire de danse sociale. Elle aurait préféré qu’il écrive la vérité : « COLOMBE AIME SAMUEL » (le frère de France). Mais Yvan n’était pas au courant et il continua d’écrire partout ce qu’il pensait.
Colombe essaya de l’ignorer en se concentrant sur le jeu de marelle qu’elle dessinait au milieu de la rue (la rue était fermée pour la fête). Évidemment, Yvan dut aller jusqu’à dessiner au beau milieu de sa marelle pour la faire réagir. Colombe piqua une crise et se jeta sur lui pour lui reprendre ou lui faire avaler sa craie. Plus grand qu’elle, il n’eut pas de difficulté à se dégager. Il lui donna un bon coup sur les lèvres pour ensuite utiliser sa plus grande force : courir ! Colombe le suivit, mais je l’arrêtai au coin de De Lorimier et Marie-Anne. Le plus drôle : Yvan a oublié son vélo chez nous.
Voilà que je pense à d’autres situations bizarres impliquant mon cousin Yvan. Il y a deux jours, ma grand-mère et ma tante, comme à leur habitude, une fois par mois, nous ont envoyé des sacs de viande et différents restes de nourriture. En fait, elles font cela lorsqu’elles vident leur congélateur : c’est supposé nous aider à joindre les deux bouts. Pourtant, la plupart du temps, nous en jetons les trois quarts parce que la viande pue et a mauvais goût. Ce jour-là, nous avions été très surpris d’y trouver des côtelettes de porc et de gros steaks. Yvan nous rappela pour nous dire qu’ils s’étaient trompés, que la viande était encore bonne et qu’il viendrait la chercher. Nous nous sommes empressés de la faire cuire et ce fut un vrai régal... pour une fois.
Par chance, nous commençons à être habitués avec cette famille. Plus jeune, chez ma grand-mère, Yvan mangeait des fraises directement dans le panier de ma grand-mère mais nous n’y avions pas droit. Selon Yvan, nous n’étions pas assez riches pour nous payer des fraises. En tous cas, nous les connaissons maintenant, je pourrais vous en parler longtemps, mais je n’ai pas de temps à perdre, nous sommes en pleine préparation pour partir chez Martine... attendez, on m’appelle...
Excusez-moi, je n’ai pas pu vous parler depuis hier. Maintenant nous sommes dans le comté de St-Antoine sur le Richelieu, quelque part sur la rue Le Brûler.
Avant d’aller plus loin, je veux terminer ce que je disais hier. Nous ne sommes pas riches comme la famille de mon cousin, mais nous avons suffisamment d’argent de poche pour nous payer des tas de choses. Par exemple, je vais toutes les semaines au cinéma avec ma sœur. Nous allons à la Place Laurier où ça coûte seulement 75 cents plutôt que 3.75$ dans les autres cinémas. À ce prix, nous avons droit à deux films. L’an dernier, j’ai pu m’acheter une paire de skis de fond et, avant cela, une dactylo et un magnétophone à cassette. Dernièrement, j’ai aussi eu mes poids et haltères. Yvan en conclut donc que j’ai plus de choses que lui. Il oublie sa série de GI-Joe et de Big-Jim et leurs accessoires. Il a même le tank ! Je ne peux pas vous énumérer tous les accessoires qu’il a. Quand je joue avec lui chez notre grand-mère, il remplit un salon double au complet. Il a tellement de jouets que maintenant, il fait de l’argent avec. Imaginez-vous que sa mère et sa grand-mère lui rachètent ses jouets pour en faire cadeau à ses sœurs.
En tous cas, Yvan a toujours été comme ça, et ses parents l’on toujours encouragé dans cette voie – du capitalisme sauvage !
À ce propos, José me raconte souvent une anecdote qu’il n’a jamais écrite auparavant. Pré-ado, il souhaitait avoir des bonshommes comme les GI-Joe ou les Big-Jim, qui étaient, à ses yeux, de pures merveilles : tous leurs membres (sauf un, quand même ce sont des jouets !) étaient bien articulés. Le cou, les épaules, les coudes, les genoux, les pieds… tout se bougeait et se manipulait pour les mettre dans des positions d’un réalisme surprenant. Et leurs accessoires étaient illimités : jambières, veste, gants, bottes, etc. Ceux qui s’en souviennent, dans ce temps-là, ses personnages étaient de grande taille (comme les Barbies) ce qui permettaient une manipulation facile (imaginez-vous tout ce que ces pré-ados en poussée d'hormones pouvaient faire faire à une Barbie et un Big-Jim).
Cela dit, José n’a pas eu souvent la chance de s'amuser avec de tels jouets, sauf avec son cousin. Il pria longtemps pour en avoir un, un jour, en cadeau de Noël. Et sa mère (qui se déguisait souvent en père Noël en ce temps-là) finit par répondre à sa demande. Imaginez-vous son plaisir quand il comprit, avant même de le développer, simplement par la taille du cadeau, que sa mère avait exaucé ses prières. Ce moment magique est toujours dans sa mémoire : il a développé lentement son cadeau, savourant chaque seconde qui le rapprochait de la concrétisation d’un de ses plus grands rêves. Il s’attendait à une apothéose de joie, de remerciements… mais pas de pleurs. Pourtant, c’est ce qu’il fit intérieurement en sortant le bonhomme de sa boîte.
C’était L’homme de six millions. Vous connaissez : Steve Austin, l’homme bionique. Mais le jouet en question ne valait pas autant. Il avait beau ressembler à Lee Major, et malgré son œil de verre rouge qui clignotait quand on appuyait dans son dos, il n’arrivait pas à la cheville des Big-Jim (eux, leur bras droit frappait quand on leur appuyait dans le dos). L’homme bionique était aussi flexible et articulé qu’un zombie d’un vieux film d’horreur ou que le robot dans Perdues dans l’espace. « Danger, danger, danger Will Robinson... Écraser, tuer, détruire... » José s'est contenté de sourire pour ne pas pleurer et, pour ne pas qu’elle pleure, de remercier sa mère. Plus tard, il lui a expliqué comment il avait été déçu et elle lui a confirmé que c’était une question d’argent. Ils s’étaient compris.
Un jour José eut les moyens de s’acheter des GI-Joe, mais les figurines étaient maintenant toutes petites et en plastique rigide, sans grands accessoires détachables… Il y renonça en se concentrant sur ses études collégiales.
À suivre dans : Bio-6: Casse-tête
Fait suite à : Bio-4: Je me souviens
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Notes, références et légendes des figures (numérotées de haut en bas)
Fig. 1 : L'aventurier terrestre 1970 de Hasbro de la gamme de figurines d'action Gi Joe Adventure Team. Photographe inconnu. Trouvé sur le blog Yesterville Toy Room. Voir: http://yesterville.blogspot.com/2011/09/hasbro-1970-gi-joe-adventure-team-land.html, consulté en mai 2021.
Fig. 2 : La figurine de L'Homme de 6 millions, commercialisée par Kenner en 1975. Photographe inconnu. Trouvé sur un site de vente consulté en mai 2021.
N.B. : Le texte ci-dessus est basé sur une histoire vraie. Cependant, n'oubliez pas que :
1) mes avertissements généraux s'appliquent aussi aux textes de cette section ;
2) il s'agit de ma propre vérité, à partir de mes points de vue et jugements personnels du moment ;
3) la mémoire est toujours un processus de reconstruction mentale et une faculté qui oublie ;
4) presque tous les personnages ont des noms fictifs.