Pommier de Bienveillance (processus)

Pommier de Bienveillance (processus)

J’ai toujours fait de l’art comme thérapie. Mon processus créateur est toujours intimement lié à mon processus de vie et de changement et/ou à mon processus thérapeutique. Mon « Pommier de Bienveillance » ne fait pas exception à la règle. En fait, il illustre très bien cette règle.

Cette création est née (dans sa première forme) pendant l’été 2018, comme un simple accessoire de théâtre, pour la pièce « Bienveillance » de Fanny Britt, mise en scène par mon fils, Vincent Michaux-St-Louis, et sa meilleure amie, Sara Renaud-Poirier. Il s’agissait d’un dessin au feutre noir qui, avec d’autres dessins, simples et enfantins comme le voulait mon fils, permettait d’illustrer les premières lignes de la pièce dites par Gilles, le personnage principal.

La pièce a été présentée en septembre 2018 au Café-Théâtre de Chambly (CTC), mais elle m’a habité pendant plusieurs mois par la suite. C’est l’un des drames les plus touchant que j’ai vue dans ma vie, sans trop comprendre, pendant longtemps, pourquoi.  Faut dire que je ne me suis pas posé de question à l’époque; j’ai juste ressenti, apprécié la pièce avec tout mon corps, toutes mes émotions. Et ça gouttait bon, très bon ! Mon ami, comédien du CTC comme moi, Daniel Lachance, qui jouait le rôle de Gilles, m’a fait pleurer les 3 fois où j’ai vu la pièce.

«Entre la bonté et moi, il y a une autoroute de campagne devant un verger. Vouloir être bon, c'est vouloir atteindre un pommier pour cueillir une pomme alors que je suis de l'autre côté de l'autoroute. Vouloir être bon, c'est vite suivi de trois constatations inéluctables : Y a ben trop de trafic. J'ai pas le temps d'attendre. Des pommes, je suis aussi ben d'aller m'en acheter

À la fin des représentations, je tenais à récupérer mes dessins. Je ne me résignais pas à les jeter, même s’ils étaient déjà sur des cartons recyclés. J’avais envie de leur donner une deuxième vie, en commençant par le pommier. Et d’une manière très spontanée, je me suis mis à y mettre de la couleur avec des stylos à bille neufs, qui trainaient eux aussi depuis un certain temps sur ma table à dessin.

 

J’ai commencé à y ajouter de la couleur en novembre 2018 pour le terminer seulement en mai 2020. Pendant 18 mois, il est resté sur mon chevalet, dans mon bureau, devenant un objet du décor, commenté régulièrement par mes clients. C’était devenu l’exemple du projet qu’on n’est pas obligé de terminer, du truc avec lequel on a le droit de prendre son temps, une véritable leçon de vie sur le rythme d’un processus créatif qui n’a rien à voir avec l’empressement de la performance ou l’importance exagérée qu’on attribue à la finalité des choses ou au but à atteindre à tout prix. Je n’avais aucune destination, seulement qu’un long voyage de plaisir, où j’y ajoutais, de temps en temps, les éléments que l’arbre m’inspirait.

Semaine après semaine, ma création évoluait. Variation de teintes de vert aux crayons à bille pour le feuillage de l’arbre. Variation de teintes de rouge aux crayons à bille et aux feutres pour les pommes.  J’ai ensuite eu envie d’habiter l’arbre avec des oiseaux : un Hibou, un Cardinal et un Geai bleu.

C’est seulement en mars 2020, pendant l’un de mes cours de Psychologie Corporel Intégrative (CPI) qu’une idée nouvelle s’est imposée à moi. J’étais en téléconférence avec mes collègues et mon prof, et le pommier inachevé trônait sur son chevalet dans mon champ de vision, tout au long de mon cours. On parlait du concept d’Agence. En PCI, ce mot fait référence à :

« Une métaphore par rapport aux Agences de services, entreprises dont le succès (reconnaissance, appréciation, solidité) dépend de leur efficacité à attirer et à plaire à la clientèle ainsi qu’à prévoir et à résoudre les problèmes d’autrui. L’agence est considérée comme une perte de contact avec soi. La personne en agence n’entend plus la voix de son corps, elle s’est quittée pour se mettre au service des autres. Elle entend, sent et pense en fonction des autres ou en réaction à ces derniers. C’est un mode relationnel inscrit dans le corps qui s’est développé dans la relation avec les parents au cours de la petite enfance » (IPCI, module sur la réunification du Soi, page 10).

J’étais en train d’expliquer comment mon contexte familial avait encouragé le développement de cette tendance à se mettre en agence avec les autres. Comment j’avais voulu, comme enfant, sauver, guérir ou réparer les membres de ma famille (même très élargie) complètement dysfonctionnelle. Et je faisais un lien avec ce que je ressentais en ce début de crise de la COVID-19. Je venais d’apprendre la mort de milliers de personnes en Italie. J’étais bouleversé, comme je l’avais été lors du drame du World Trade Center. Je me suis mis à raconter le souvenir d’un spectacle d’humour de l’époque, animé par Patrick Huard, en hommage aux héros du 11 septembre : les pompiers. Ces derniers entraient en scène, sur Superman (It's Not Easy) de Five for Fighting (2000). En racontant cela à mes collègues, en leur disant comment j’avais pleuré à l’époque, je me suis mis à pleurer – comme je suis encore en train de le faire en écrivant ceci.

I can't stand to fly
I'm not that naive
I'm just out to find
The better part of me
I'm more than a bird
I'm more than a plane
More than some pretty face beside a train
It's not easy to be me

 

C’est là que, d’un commun accord, nous nous sommes dit que Superman pouvait peut-être se reposer…  Illumination instantanée : mon pommier offrirait le repos à Superman ! J’avais bien hâte de terminer mon cours pour dessiner un Superman couché.

Mon « Pommier de Bienveillance » fut donc complété pendant le confinement. Une fois Superman dessiné, j’ai eu envie d’y voir des écureuils roux s’amuser sur lui. Puis je terminai l’herbe et le ciel, pour enfin signer l’œuvre le 16 mai 2020.

C’est seulement là que je compris l’importance de l’auto-bienveillance (voir mon psybonheur à ce sujet). Et j’ai eu finalement l’envie d’y ajouter un petit chat, un chat qui ne sera pas sauvé par Superman, du moins pas tout de suite. Et cette idée même du chat qui va attendre ou apprendre à se sauver par lui-même me fait beaucoup de bien. Parce que je sais que Superman est en train de s'occuper d’un autre chat tout aussi important (sinon plus) : son petit chaton intérieur.

Ce « Pommier de Bienveillance » va toujours me rappeler comment la bienveillance pour soi est aussi, sinon plus, importante que la bienveillance. Je pense que Gilles avait besoin d’apprendre ça plus rapidement. Je pense que c’est pour cela que je pleurais autant à la fin du spectacle. Parce que lorsqu’il pense réellement à lui-même, qu’il commence à avoir de la bonté pour lui-même, il est trop tard ! Seul soulagement : sa bonté finie par être ressentie par ses proches.

Dommage qu’autant de personnes, comme Gilles, n’arrivent pas à avoir pour eux-mêmes, autant que pour les autres : la compassion, l’indulgence ou la bienveillance qu’ils méritent.

José St-Louis.

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