Le mariage

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Extrait tiré de A Marriage made in Heaven or Too tired to have an affair par Erma Bombeck.

Ça aurait été un mariage merveilleux… si ça n’avait pas été le mien.

Le soleil brillait. Les membres de la famille se parlaient entre eux. Le fiancé était présent. À l’autel m’attendait un homme que je connaissais depuis l’école secondaire, qui avait servi en Corée après la deuxième guerre mondiale et qui avait bel air dans un uniforme. Ernest Borgnine avait bel air dans un uniforme.

Bill était un étranger. Je ne le connaissais que depuis sept ans. Il y a des gens qui ont des conversations plus longues que ça avec un serveur au sujet du "spécial du jour".

À quoi mes parents pouvaient-ils bien penser avec leurs niaiseries de "Tu ne rajeunis pas, tu sais?" Nous n'avions pas de voiture, pas d'endroit où habiter, pas de meubles et pas de motif pour l'argenterie. Je me demandais si on pouvait être légalement marié sans avoir de motif pour l'argenterie. Bill n'avait même pas d'emploi. Il avait encore un an à faire au collège. Aucun doute, mes parents faisaient une grosse erreur!

Rien ne marchait. Enfant, j'avais toujours fantasmé à propos d'un grand mariage au-dessus de nos moyens. Et j'étais là, dans une robe de mariée trop grande que j'avais achetée à rabais, un cousin prenant nos photos pour l'album avec un appareil jetable et ma mère qui sentait le jambon qu'elle avait cuit toute la matinée pour amener à la réception.

Et qu'est-ce qui allait arriver à mes rêves? J'avais de grands projets pour moi. Une fois diplômée du collège, j'allais aller à New York pour travailler au New York Times en tant que correspondante étrangère. Et si ça ne marchait pas, j'avais une offre ferme pour écrire la chronique nécrologique dans le Dayton Herald en Ohio.

Et me voilà, deux semaines après ma graduation, descendant l'allée de l'Église de la Résurrection pour dire "je le veux" sans même avoir une description de tâches.

Je croisai le regard de mon fiancé qui m'attendait devant l'autel et la pauvreté et les rêves inassouvis semblaient sans importance. Qu'est-ce qui n'allait pas chez moi? J'aimais cet homme. Nous étions le couple parfait. Nous avions tout en commun. Enfin, les choses qui comptaient vraiment.

Tous les deux nous ne mâchions qu'un demi-bâton de gomme et gardions l'autre moitié. (Combien de gens font ça!) Nous aimions tous les deux l'humour de Robert Benchley, haïssions le communisme et quelle autre chose encore? Ah oui, nous détestions tous les deux aller au dentiste. Beaucoup de couples qu'on connaissait avait débuté leur mariage avec moins que ça.

Comme je m'agenouillais à ses côtés, j'observai à travers mon voile qu'il avait une éclaboussure de peinture blanche sur son oreille. Une faible odeur de térébenthine flottait autour de lui. Il peinturait des maisons pendant l'été pour se faire un peu d'argent. Il faudrait que ça change. Sûrement qu'il pourrait trouver quelque chose avec un peu plus de dignité. De plus, je n'avais aucune intention de fréquenter quelqu'un autour de qui on avait peur de craquer une allumette.

Cet homme allait définitivement demander beaucoup de travail. Mais j'avais des années devant moi pour le façonner en ce mari qu'il était capable d'être. Premièrement, je me suis fait une note de laisser pousser ses cheveux. Dieu que je détestais sa coupe en brosse. Ça lui donnait l'air d'une carpette sur laquelle on venait de passer l'aspirateur.

Et il nous faudrait faire quelque chose à propos de ses habitudes alimentaires. Je venais d'une famille qui considérait la sauce comme un breuvage. Il mangeait des légumes, ce que je voyais comme des décorations de foyer. Imaginez passer le reste de votre vie avec un homme qui n'avait jamais mangé de dumplings froids pour déjeuner!

Son témoin et copain de poker, Ed Phillips, lui donna l'alliance. Je souriais pendant que Bill la glissait à mon doigt. Ed et tout le groupe de joyeux lurons seraient bientôt choses du passé. Finie la vie de célibataire, jouer au poker jusqu'aux petites heures du matin. À partir de maintenant, ce ne serait plus que nous deux, regardant des couchers de soleil et noyant nos regards dans les yeux de l'autre.

Comme nos épaules se touchèrent, j'étais stimulée à l'idée lui faire un horaire. Toutes ces années où nous étions sortis ensemble, il avait toujours été en retard pour tout. Je faisais vœu de passer l'éternité avec un homme qui n'avait jamais entendu l'hymne national ou vu le botté de départ d'une partie… jamais vu un rideau se lever ni entendu une ouverture. Il avait l'air si calme. Il ne pouvait pas savoir que je lui enseignerais bientôt les vertus de remettre le capuchon sur un stylo pour qu'il ne sèche pas et que j'allais lui montrer comment les gauchers sont supposés raccrocher le téléphone pour que les droitiers ne deviennent pas fous de rage.

Le prêtre était polonais et, entre son accent et le latin de messe, je m'efforçais d'interpréter ses mots. Et là, bien haut et clair, je l'ai entendu clamer: "Toi, Bill, tu seras la tête du foyer et toi, Erma, tu seras le cœur."

Dans ses rêves. À qui croyait-il s'adresser ici… un enfant qui choisit une pièce de 5¢ au lieu d'un 10¢ parce qu'il est plus gros? J'avais vu la "description de tâches du cœur" et je ne m'étais pas tapé quatre ans de conjugaison de verbes pour m'étouffer sur les meilleurs scores de quilles de mon mari.

Peut-être que je pourrais convaincre Bill d'être le cœur… ou au moins échanger une fois de temps en temps.

"Je vous prononce maintenant mari et femme."

À l'exception, peut-être, de "We have lift off" et "This country is now at war", il y a peu de phrases aussi marquantes.

La réception avait lieu en bordure de la ville dans une salle généralement réservée aux pique-niques des vétérans de guerre. Des chaises pliantes étaient enlignées le long du mur, donnant à la salle toute la chaleur intime d'un terminus d'autobus. Une longue table couverte d'une nappe en papier blanc trônait au centre de la pièce et supportait le gâteau et la montagne de sandwichs au jambon.

Une voiture arrive à l'entrée. Un couple avec six enfants en débordent. L'homme crie à la cantonade "Charlie est là! Où est la bière?"

Bill me regarda et dit: "Ton côté?"

Je hochai la tête. "Mon oncle par alliance."

Le reste de la journée est plutôt flou – la parenté qui s'enligne de chaque côté de la pièce comme deux tribus en guerre… des centaines d'enfants que personne n'a jamais vus avant avec du gâteau plein le visage… des demoiselles d'honneur qui vous regardent avec cet air de "Dieu merci c'est toi et pas moi"… et Mère qui ne pouvait pas s'arrêter de pleurer parce qu'elle allait manquer de jambon.

Quelqu'un de bien intentionné m'a demandé où nous allions pour notre lune de miel. Je lui ai dit que je voulais aller à New York, voir un spectacle sur Broadway, loger dans un hôtel chic et faire des promenades en calèche à minuit dans Central Park.

"Puis, où est-ce que vous allez?" a-t-elle insisté.

"Nous allons pêcher au Lac à la larve dans le Michigan."

"Vous vous êtes mariée pour l'amour" dit-elle en souriant.

À quoi aurais-je pu m'attendre d'un homme qui m'a fait sa demande en glissant ma bague de fiançailles sur son cigare et en l'allumant?

Aux alentours de quatre heures, je cherchai Bill. Il n'était nulle part. Dehors, dans le terrain de stationnement, je l'ai trouvé en compagnie d'Ed et de tout son groupe de copains riant, buvant et faisant des plans pour une partie de poker dès son retour.

Ça allait être plus dur que je ne le pensais.

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